Website in English Site en français
Publicité

Publicité

Inquiétude sur les nouveaux avions en composite

Les constructeurs d’avions commerciaux utilisent les matériaux composites dans les avions de transport depuis plusieurs décennies. Mais depuis 2011, des avions commerciaux de grande capacité construits majoritairement en composite rentrent en opération. C’est le cas par exemple du Boeing 787, et pour un peu plus tard l’Airbus A350. Le monde de l’industrie aéronautique s’inquiète de l’état des connaissances de cette technologie appliquée à l’aviation commerciale, et du niveau de préparation des Autorités de l’Aviation Civile à cette transition technologique. Les Autorités de l’aviation américaines et européennes sont en train de prendre des mesures de manière à répondre à tous les défis de sécurité liés à l’utilisation du composite pour la structure d’un avion, mais le GAO (Government Accountability Office), organisme de surveillance aux Etats-Unis, a exprimé ses craintes dans un rapport publié en octobre 2011.

1) Augmentation de l’utilisation des composites dans l’aviation commerciale

Les matériaux composites sont utilités depuis décennies dans l’aviation commerciale. Avant le milieu des années 1980, les constructeurs utilisaient des matériaux composites dans des parties secondaires de la structure de l’avion (ex : les bords des ailes) et pour les surfaces de contrôle. En 1988, Airbus avec son A320, a produit le premier avion commercial avec une queue entièrement en composite. En 1995, Boeing a suivi avec son B777, équipé aussi d’une queue en composite.

Les matériaux composite utilisés en aéronautique sont généralement produits en combinant des couches de fibres de carbone ou de verre avec de l’époxy.

Plus récemment, les constructeurs ont étendu l’usage du composite au fuselage et aux ailes, car ces matériaux sont généralement plus légers et plus résistants à la corrosion que le métal utilisé traditionnellement sur avion.

Evolution du pourcentage de composite dans les avions
Evolution du pourcentage de composite dans les avions

Le Boeing 787 est le premier gros porteur commercial construit majoritairement en composite. Il est entré en opération en octobre 2011. Le composite représente 50% du poids de l’appareil (hors moteur). L’avion peut transporter de 210 à 290 passagers sur des distances de 7650 NM (14 200 km) à 8500 NM (15 700 km).

L’Airbus A350 suivra, avec une proportion de composite sensiblement similaire à celle de son concurrent de chez Boeing. La famille des Airbus A350 pourront transporter 250 à 400 passagers sur des distances allant jusqu’à 8500 NM (15 700 km).

2) Qui est responsable de la sécurité des structures en composite

La responsabilité de la sécurité d’un avion, et donc de sa structure composite, est partagée entre trois acteurs :

  • Les Autorités de l’Aviation Civile (ex: la FAA aux Etats-Unis, l’EASA en Europe) sont responsables d’établir des standards de certification et de certifier que les constructeurs et les fournisseurs sont conformes aux normes définies. Elles inspectent également périodiquement les installations des constructeurs et s’assurent que la conformité à la réglementation est continuellement maintenue. Elles surveillent aussi les centres de réparation pour s’assurer de la bonne application des procédures de maintenance et de formation du personnel.
  • Les constructeurs d’avions sont responsables de démontrer la conformité à la réglementation et doivent construire des avions sûrs. Ils développent également les programmes de maintenance et les manuels de réparation, et fournissent l’assistance technique nécessaire aux opérateurs.
  • Les opérateurs doivent exploiter les avions en conformité avec la réglementation, et en conformité avec la documentation approuvée. Cela nécessite donc de réaliser les tâches de maintenance adéquates lorsque nécessaire. Les opérateurs aident également à maintenir la navigabilité de leur flotte en suivant leurs avions et en reportant aux Autorités et au constructeur toutes les réparations ou incidents notables.
Répartition des matériaux dans le Boeing 787
Répartition des matériaux dans le Boeing 787

3) Les inquiétudes concernant la sécurité des structures en composite

De nombreuses craintes ont été soulevées à propos de l’utilsation massive des matériaux composites dans la structure d’un avion. Ces craintes ont comme fondement la faible connaissance de cette technologie appliquée à l’aviation commerciale, et le manque de retour d’expérience. Le GAO (Government Accountability Office, organisme de surveillance aux Etats-Unis) a émis un rapport sur le sujet en octobre 2011. Bien qu'il n’a fait aucune recommandation dans son rapport, il a identifié quatre points liés à la sécurité des avions en composite :

  • La première crainte est le peu d’information que nous avons sur le comportement des structure d’avion en composite. Comment la structure va supporter les dommages ? Comment va-t-elle vieillir ? Le problème rencontré pour répondre à ces questions est le trop peu d’expérience en service avec du composite. Les concepteurs n’ont d’autre recours que la modélisation pour prédire les comportements des parties en composite.
  • Le GAO fait aussi état de la difficulté à détecter les dommages dans les matériaux composite, et souligne les challenges qui seront liés aux propriétés particulières de ces matériaux. « Les dommages liés à des impact sur les structures composites peuvent être difficilement visible, voire même invisible. Par rapport à une structure métallique, la tâche du mécanicien en charge de détecter des dommages est donc plus compliquée » dit le GAO. « Faire une réparation est aussi un sujet d’inquiétude car la réparation du composite est davantage sujette à l’erreur humaine qu’une réparation sur du métal, puisque la qualité de la réparation composite est dépendante de la procédure utilisée ». L’expérience a aussi montré qu’un avion pouvait être cloué au sol pendant plusieurs jours le temps de faire une réparation sur une pièce en composite, alors qu’une réparation similaire sur une pièce métallique n’aurait nécessité que quelques heures. Les petits accrocs sur un avions causés par exemple par les véhicules au sol des services aéroportuaires peuvent avoir de lourdes conséquences économiques sur les avions en composite.
  • La standardisation des matériaux composites et des techniques de réparation est très peu développé par rapport aux matériaux métalliques. Cela est dû à la protection de certaines techniques par les entreprises, et à l’immaturité relative de l’utilisation des matériaux composites dans la structure d’un avion. « Un mécanicien pourraient confondre des matériaux ou des procédures, faisant ainsi une réparation inappropriée » pense le GAO. Cela peut aussi avoir des répercussions économiques négatives pour les compagnies aériennes et les centres de réparation puisqu’il est nécessaire de stocker beaucoup de pièces dans les entrepôts. Par ailleurs, les matériaux composites doivent généralement être stockés à des températures spécifiques, et ils ont une date de péremption.
  • Le GAO a également identifiés comme sujet d’inquiétudes le niveau de formation et de sensibilisation du personnel s’occupant des composites. « Les mécaniciens avion et les concepteurs qui ont travaillé depuis des décennies avec le métal risquent de ne pas être aussi familiers avec les composites, dont l’apparition sur avion est relativement récente et dont les propriétés spécifiques sont liés à de nouveau challenges techniques » écrit le GAO.

De nombreux effort sont en cours ou programmés par les Autorités de l’Aviation Civile pour répondre à ces inquiétudes sur la sécurité. Ces efforts consistent en la rédaction ou la modification de procédures ou de politiques, la poursuite de la recherche, le développement et l’implémentation de programmes de formation, et la collaboration avec les acteurs industriels.

Cependant, « il est trop tôt pour estimer la pertinence des efforts [des Autorités] et de l’industrie pour répondre à ces inquiétudes de sécurité, et pour construire un savoir-faire suffisant pour gérer et surveiller la maintenance et les réparations des composites, étant donné que les pièces de structure en composite qui sont actuellement en service sont majoritairement limitées à de la structure secondaire » analyse le GAO.

Un tronçon du Boeing 787
Un tronçon du Boeing 787

Finalement, « de nombreux experts expliquent que même si tous les risques ne peuvent pas être connus, l’utilisation des composites n’est pas révolutionnaire. Il s’agit d’une nouvelle application d’une technologie qui a déjà une histoire dans l’aviation militaire et l’aviation de loisir » rapporte le GAO.

4) Conclusion

La technologie des matériaux composites n’est pas une révolution dans l’aviation, et elle a déjà été utilisée dans le passé pour certaines parties d’avions. Cependant, depuis 2011, c’est la première fois que rentre en service des avions gros porteurs qui font du transport de passagers, et qui sont faits majoritairement de composites. La communauté aéronautique s’inquiète donc de la sécurité de ces avions, principalement à cause du manque d’expérience avec ces matériaux, et des différences qui existent entre le métal, dont toutes les propriétés sont bien connues, et le composite que l’on découvre encore.

Par ailleurs, l’adaptation des procédures opérationnelles et de maintenance pour répondre aux demandes du composite pourrait avoir un impact économique négatif.

De tout temps, l’aviation commerciale a évolué au fil des sauts technologiques qui nous emmenaient à chaque fois vers un milieu plus ou moins inconnu. A chaque saut, de nombreuses craintes et questions étaient soulevées, mais nous sommes toujours arrivés à relever les défis, à nous adapter aux nouvelles technologies, et à rendre l’aviation encore plus sûre. Malheureusement, nous en avons aussi payé le prix avec de nombreux accidents.

Construire des gros porteurs commerciaux majoritairement en composite est un nouveau saut technologique qui nous emmènera vers des avions plus légers, plus efficaces et plus écologiques. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous permettre d’avoir des accidents à cause d’une technologie pas assez éprouvée. L’opinion publique ne veut plus payer ce prix là.

Rédigé en Octobre 2011